Aujourd'hui, on délaisse la Savoie, direction Grenoble par la vallée du Grésivaudan. On se perd avec une certaine malice dans un dédale de chemins vicinaux et de routes secondaires qui sillonnent la plaine dans un désordre rassurant, évitant autant que faire se peut l'agitation des villages et la froideur des zones industrielles, se faufilant parfois sous l'autoroute ou sautant d'une rive à l'autre de l'Isère pour s'échapper.
Cette plaine impose son silence jusqu'aux portes de l'agglomération grenobloise. Seul quelques oiseaux ou gibiers à plumes babillent de temps à autre dans les joncs, les taillis et les futaies.
Bien qu'occupant un espace étroit, rogné par deux Nationales, une autoroute et une voie ferrée, elle s'impose. C'est miraculeux, sa puissance naturelle étouffe les nuisances sonores, les absorbent, les réduisent à néant. Et que dire de cette vieille ferme isolée, ces granges brinquebalantes, ces champs entourés de fourrés et de talus, ces rideaux de peupliers dont les attraits sculptent le paysage et maquillent la laideur des voies de communication ?
Quand à deux pas de Grenoble l'Isère décide de flâner entre deux méandres, cette apparition a quelque chose de magique. Aussitôt, on met pied à terre. Le spectacle est merveilleux.
Au-delà de l'ancien chemin de hallage dont les pierres craquent sous nos pas, malgré un franc soleil, le tronc des arbres restent dans une obscurité qui par contraste, accentue l'éclat de la lumineuse rivière. Dans ce bel endroit, le clapotement de l'eau nous apaise si profondément que bientôt on s'aventure dans une douce rêverie.
Imaginez l'Isère, impétueuse comme son nom le signifie, descendre avec fracas de Val d'Isère pour se heurter au barrage de Tignes, débouler dans la vallée de la Tarentaise sans prendre le temps de mieux connaitre Bourg-Saint-Maurice et Moutiers, fuyant la Vanoise et le Beaufortain, se renforcer en recevant les eaux de ses affluents l'Arly et l'Arc, après quoi, prenant ses aises, s'élargir dans la Combe de Savoie entre Albertville et Montmélian. Puis, libérée de ses digues ses digues qui domptent ses colères à la fonte des neiges, elle se met à serpenter avant d'entrer avec majesté dans Grenoble. Là, hautaine, elle passe sans faire cas des fortifications et du téléphérique de la Bastille. En aval de la ville, après l'apport des eaux capricieuses du Drac venues du Champsaur, elle bifurque pour éviter le Vercors et chemine bientôt entre les gravières, dessinant des sinuosités vagabondes pour rejoindre le Rhône au nord de Valence.
C'est une sorte de trait d'union entre le vignoble de Savoie et celui de Cornas qui servit de décor à une de nos escapades en Ardèche.
Bigre ! l'impétueuse a usé de son pouvoir de séduction pour nous emmener avec elle tout au long de son périple, sur près de 300 kilomètres, mais revenons en amont de Grenoble.
Le dos face au Vercors, nos yeux contemplent cette vallée du Grésivaudan qui nous fascine; dire que les glaciers ont dû écarteler ces montagnes pour la créer !
La Chartreuse fait face aux cimes cristallines de Belledonne qui entaillent le ciel après une verticalité de presque 3000 mètres. Voyez le caractère sauvage de cette barrière qui s'allonge sur une soixantaine de kilomètres sans autoriser le moindre col routier à la franchir !
De part et d'autre de la vallée, les lignes de crêtes blanchies fixent les limites de ces espaces de liberté et invitent notre imaginaire au voyage. Certes, on a bourlingué à vélo dans ces montagnes, parfois on a approché leurs sommets mais pour nous, ils resteront à jamais inviolables. Un jour, l'ascension du col du Coq nous amena au pied de la Dent de Crolles très prisée des randonneurs. L'idée de devoir marcher au-dessus des falaises de cette gigantesque molaire de calcaire nous dissuada de nous lancer dans ce genre d'aventure.
Que voulez-vous, on est ni alpiniste ni randonneur ! Certainement un excès de prudence ou une absence de courage, peut-être même un brin de médiocrité et on ne peut s'empêcher de songer à la citation de Vauvenargues : " La modération des faibles est médiocrité. " Mais pas question de se lamenter, on cherche simplement à comprendre notre comportement pour mieux l'accepter.
Ne vous méprenez pas, tout va bien, on vient simplement de redécouvrir Spinoza !
Et le vélo dans tout cela ? Une sortie champêtre qui privilégie le silence et la solitude sans l'éloignement, consacrée à la récupération et à la vélocité, mais en partie seulement. En effet, par des chemins différents offrant de belles lignes droites, retour ponctué toutes les 5 minutes par des sprints de 30 secondes, départ quasi-arrêté en tirant un grand développement.
Difficile de résister à cette envie de forcer, mais au final, tout de même un circuit de 70 kilomètres sans un réel dénivelé et c'est suffisamment rare pour être signalé.